الأربعاء 07 ماي 2025

L’Explosion du Port du 2 Mai 1962 : La justice différée… et le droit non reconnu par le tribunal.. Des preuves aux condamnations, le chemin de la justice interdite

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By: Ahmed achour
L’Explosion du Port du 2 Mai 1962 : La justice différée… et le droit non reconnu par le tribunal.. Des preuves aux condamnations, le chemin de la justice interdite

Le matin du 2 mai 1962, aux abords du port d’Alger, une explosion retentit, non pas simplement comme un écho de bombe ou le bruit d’une charge piégée, mais comme le retour d’une question suspendue depuis des siècles : jusqu’à quand les peuples seront-ils tués sans réponse ni responsabilité ?

Ce jour-là, le sang coula parmi les sacs de blé, et les os s’effondrèrent sous la domination de l’acier et de la fumée, non pas en raison d’une erreur humaine, mais parce qu’une volonté coloniale avait décidé – délibérément – que le départ serait marqué par un crime, et non par le regret.

L’explosion s’inscrivit dans un contexte politique tendu, où la France coloniale livrait ses derniers instants d’arrogance, dissimulée sous un voile diplomatique. Tandis que les accords d’Évian se rédigeaient à l’encre, le destin des victimes s’écrivait dans la langue de la poudre à canon. Plus de deux cents ouvriers civils – pour la plupart algériens – furent tués ou blessés dans une opération organisée visant une installation économique strictement civile, en violation flagrante de toutes les règles éthiques et juridiques reconnues en période de conflit armé.

Cependant, la tragédie ne se limita pas à l’explosion de la charge, elle débuta avec ses conséquences les plus amères : un silence officiel français, une couverture médiatique déformée, et un enterrement des vérités dans des archives toujours fermées sous prétexte de « secrets d’État ».

Entre le blocus médiatique et la léthargie internationale, les victimes restèrent privées de justice, et l’événement demeura suspendu entre la mémoire des moudjahidines et les papiers oubliés dans les instances juridiques.

Ce bombardement constitue-t-il un crime de guerre ? Ou un crime contre l’humanité ? Et existe-t-il encore, dans les outils du droit international, une possibilité d’ouvrir à nouveau ce dossier, après six décennies de dissimulation et de négligence ?

Cet article ne prétend pas trancher, mais cherche à raviver la question, et à pousser l’instrument juridique vers la vérité que les grandes puissances ont choisi d’ignorer.

Reportage : Smatti Amina

L’explosion du port sous le prisme du droit pénal international : un crime contre l’humanité ?

Au cœur du droit pénal international, les crimes ne sont plus seulement évalués en fonction de l’ampleur de la destruction, mais aussi selon leur méthodologie, leur intention et la cible des populations civiles, des dimensions qui constituent les éléments essentiels de la définition du « crime contre l’humanité » telle qu’énoncée dans le Statut de la Cour pénale internationale (Statut de Rome, 1998). Selon l’article 7 de ce statut, un crime contre l’humanité est défini comme « tout acte énuméré dans cet article, commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre toute population civile, en ayant connaissance de cette attaque ».

L’explosion du port d’Alger le 2 mai 1962, avec les destructions qu’elle a causées et l’attaque systématique des travailleurs algériens, s’inscrit clairement dans ce cadre juridique. Ce n’était pas une conséquence d’un conflit direct ou d’une bataille militaire, mais bien une attaque organisée et planifiée contre une installation économique civile, au cours de laquelle plus de 200 personnes – pour la plupart des civils – ont été tuées, alors qu’elles se trouvaient sur leurs lieux de travail, sans avertissement préalable ni caractère militaire.

Les éléments constitutifs du crime selon le droit international :

Premièrement, l’attaque généralisée ou systématique : l’explosion ne constituait pas un incident isolé, mais s’inscrivait dans un processus destructeur mené par l’Organisation de l’Armée Secrète (OAS) pour entraver l’application des Accords d’Évian (18 mars 1962). La Commission du droit international des Nations Unies, dans le projet de règles sur la responsabilité des États pour des actes internationaux illicites de 2001, a estimé que l’attaque systématique des installations civiles constitue une violation grave du droit international, engageant la responsabilité pénale de l’État ou de l’entité responsable.

Deuxièmement, la cible des populations civiles : les victimes étaient des travailleurs algériens civils, sans aucune affiliation militaire. L’explosion ne visait pas un objectif militaire ou sécuritaire, mais une installation économique essentielle pour assurer la subsistance et les ressources de base. William Schabas, dans son ouvrage An Introduction to the International Criminal Court (Cambridge UniversityPress, 2011), souligne que le critère de la « civilité » est un élément fondamental pour constituer un crime contre l’humanité. Il précise que les violations visant des groupes civils sont présumées avoir une intention criminelle, sauf preuve du contraire.

Les documents de l’OAS et les déclarations de ses dirigeants – comme Jean-Jacques Susini et Pierre Lagaillard – révèlent que l’objectif de l’explosion était de semer le chaos et de saboter l’indépendance de l’Algérie, et ce, à un prix sanguinaire. Antonio Cassese, dans son livre International Criminal Law (Oxford UniversityPress, 2008), affirme que « l’intention spécifique » ou la connaissance préalable des conséquences des actes est une condition essentielle pour établir la responsabilité pénale internationale, ce qui est clairement le cas ici.

Pour mettre en lumière le caractère criminel de cet acte, on peut le comparer à des crimes documentés que la communauté internationale a qualifiés de « crimes contre l’humanité », malgré les contextes différents :

Par exemple, les explosions menées par l’AWB en Afrique du Sud à la fin de l’apartheid, visant des centres civils sous prétexte de résistance au changement politique, ont été condamnées par la Commission de vérité et de réconciliation sud-africaine comme des violations graves des droits humains à caractère politique systématique.

De même, les massacres commis par la France à Madagascar en 1947, perpétrés par les troupes françaises pour réprimer une révolte nationale, ont entraîné la mort de dizaines de milliers de personnes, sans qu’aucune responsabilité ne soit attribuée. Ce répression a été qualifiée de « disproportionnée et systématique » dans plusieurs rapports français ultérieurs, comme le mentionne Raphaëlle Branche dans La Guerre d’Algérie : Une histoire apaisée ? (2005).

À la lumière de cette analyse, il est possible d’affirmer que l’explosion du port d’Alger remplit les critères juridiques d’un crime contre l’humanité selon le droit pénal international. Et bien que le temps ait passé, ces crimes ne sont pas soumis à la prescription, conformément à l’article 29 du Statut de Rome. Le silence sur ce crime ne constitue pas une neutralité juridique, mais plutôt une complicité implicite dans l’impunité.

La possibilité de rouvrir le dossier au niveau international : le droit peut-il encore faire entendre la voix des victimes ?

Dans la mémoire des peuples, les crimes peuvent dormir, mais ils ne meurent jamais. Et dans la conscience du droit international, il existe des crimes qui ne se prescrivent pas et ne sont pas soumis à la marchandisation de l’histoire. L’explosion du port d’Alger, le 2 mai 1962, appartient à cette catégorie de crimes pour lesquels les responsables doivent être poursuivis – et doivent l’être – malgré le passage des décennies. Car la justice en droit pénal international n’est pas seulement une question de temps, mais une question de volonté, ce qui fait de la réouverture du dossier de cette explosion tragique une question légale et éthique toujours d’actualité.

La Convention sur la non-prescription des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité de 1968 a consacré le principe selon lequel ces crimes « ne se prescrivent pas, peu importe la durée du temps écoulé ou l’évolution des circonstances politiques » (article 1). Étant donné que l’attaque visant un port civil, ayant causé la mort de dizaines d’innocents, a été une opération systématique et à caractère politique – militaire, elle entre dans la catégorie des crimes contre l’humanité selon la définition de l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (1998).

Mais peut-on vraiment activer cette qualification légalement ? De nombreuses expériences mondiales redonnent espoir. En France, par exemple, Maurice Papon a été jugé en 1998 pour sa responsabilité dans la déportation des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, bien que ces crimes aient été commis plus de cinquante ans auparavant. En Argentine, la Cour suprême a annulé les lois d’amnistie et rouvert les dossiers de la « guerre sale », permettant de juger les anciens tortionnaires. Ces précédents témoignent du fait que le temps ne protège pas l’auteur du crime, lorsque la volonté politique et la pression populaire sont présentes (voir : ICTJ Report on Transitional Justice in Argentina, 2007).

Cependant, la voie vers la Cour pénale internationale rencontre des obstacles juridiques complexes. La Cour ne peut juger que des crimes commis après l’entrée en vigueur du Statut de Rome (juillet 2002), et la France n’a pas accordé de compétence rétroactive. De plus, l’Algérie n’est pas partie au Statut, ce qui complique la question de la saisine. Certes, le Conseil de sécurité de l’ONU peut saisir la Cour en vertu du chapitre VII – comme cela a été le cas pour la situation au Darfour – mais le veto français représente un véritable obstacle à cette démarche (voir : William Schabas, An Introduction to the International Criminal Court, Cambridge UniversityPress).

Face à ces fermetures judiciaires, des voies alternatives, à la fois juridiques et éthiques, se dessinent. L’Algérie ou les organisations de la société civile peuvent saisir le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, en demandant la mise en place d’une commission d’enquête sur les crimes coloniaux français. Il est également possible de s’adresser au Rapporteur spécial pour la promotion de la vérité, de la justice et de la réparation, un poste des Nations Unies directement impliqué dans les dossiers de mémoire et de crimes non résolus. Ce Rapporteur a déjà abordé des dossiers concernant la République centrafricaine, le Guatemala, et même l’occupation française en Algérie (UN HumanRights Council Reports, 2021).

En outre, des organisations non gouvernementales internationales comme HumanRights Watch et la FIDH peuvent jouer un rôle crucial en rédigeant des rapports périodiques et en les soumettant aux instances des Nations Unies. Ce mécanisme a déjà permis de rouvrir des discussions sur le colonialisme belge au Congo, ainsi que sur les violations commises par la France à Madagascar (FIDH Annual Report on Colonial Crimes, 2020).

Ainsi, la justice ne passe pas uniquement par la Cour. Comme l’a écrit Antonio Cassese dans son ouvrage de référence International Criminal Law : « Le droit ne se limite pas à rendre des jugements, il inclut aussi la reconnaissance publique de la tragédie, la levée de l’injustice symbolique sur les victimes, et l’inscription de la vérité dans la conscience humaine ». C’est précisément ce que l’on attend de la réouverture du dossier de l’explosion du port d’Alger : briser le cercle de l’impunité et faire entendre les voix des victimes au-dessus du silence des institutions.

La justice différée : Entre droit et souveraineté

Dans le vocabulaire de la justice internationale, l’injustice n’est pas mesurée par le temps de sa survenue, mais par l’ampleur de son dépassement. L’explosion du port d’Alger, le 2 mai 1962, en tant qu’opération systématique contre des civils désarmés, reste aujourd’hui une plaie ouverte dans la mémoire nationale, et un dossier toujours non résolu sur la table du droit international. Cependant, l’accès à la justice recherchée nécessite de dépasser les questions superficielles pour une déconstruction profonde de l’équation entre droit et souveraineté, car il est impossible de remettre en question la France, en tant que puissance coloniale, sans poser parallèlement la question du rôle de l’État algérien dans cette longue lutte.

D’un point de vue juridique, la responsabilité internationale incombe d’abord à la France, en tant qu’ancienne puissance occupante, soumise aux dispositions des quatre Conventions de Genève de 1949, et particulièrement à la quatrième convention relative à la protection des civils en temps de guerre, qui interdit les actes de représailles contre les populations civiles (articles 27 à 34). De plus, le droit international coutumier, réaffirmé par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, stipule que cibler les civils constitue une violation grave du droit humanitaire international (ICTY, Prosecutor v. Tadić, 1995).

Au-delà de cela, les principes de la Commission du droit international de l’ONU de 2001 assignent à l’État la responsabilité des actes internationalement illégaux, qu’ils aient été commis directement par ses agents, ou acceptés ou tolérés par lui, ou même en raison de son échec à prendre des mesures pour les prévenir ou punir leurs auteurs (articles 4 à 11 des Articles provisoires sur la responsabilité des États pour les actes internationalement illicites, CDI, 2001).

Mais la question épineuse demeure : quelles sont les limites de la responsabilité de l’État algérien aujourd’hui, non en tant que partie accusée, mais en tant que gardien de la mémoire et défenseur des victimes ?

Il ne s’agit pas d’une condamnation, mais d’une obligation de fidélité, que se pose la nécessité d’adopter une stratégie internationale multidimensionnelle : incluant la documentation, l’internationalisation, et la promotion de la reconnaissance juridique de ce qui s’est passé comme un crime contre l’humanité. Le monde a été témoin de vécus similaires, notamment l’expérience de l’Afrique du Sud après la fin de l’apartheid, où une Commission de la vérité et de la réconciliation (Truth and Reconciliation Commission) dirigée par Desmond Tutu a été instaurée, reposant sur le principe « d’abord la vérité, puis la justice », ce qui a permis de documenter des milliers de violations et de préparer le climat national à leur reconnaissance ultérieure (voir : TRC Final Report, 1998).

La première étape de ce processus consiste en la documentation juridique officielle des victimes, que ce soit par des témoignages officiels devant des juridictions nationales, des dossiers médicaux, des rapports d’expertise, ou leur enregistrement au sein d’une instance officielle dédiée aux victimes du colonialisme. Ce qui constitue une étape préliminaire essentielle pour toute action juridique internationale, comme l’a souligné le juge international Antonio Cassese dans son ouvrage de référence (International Criminal Law, Oxford UniversityPress, 2008), en affirmant que « l’absence de documentation officielle constitue une faille qui compromet la légitimité de toute plaidoirie devant les tribunaux internationaux. »

L’Algérie dispose aujourd’hui des institutions et initiatives nécessaires pour cela, notamment à travers le projet de « mémoire nationale » lancé par les autorités algériennes pour recueillir les témoignages et les archives, couronné par un échange de fichiers avec la France après des années de fermeture, bien que ce projet soit encore à ses débuts en termes d’efficacité juridique. Dans ce contexte, il est essentiel de ne pas négliger l’importance du rapport de Benjamin Stora (Benjamin Stora, 2021), préparé pour la présidence française, qui, bien qu’il ne qualifie pas les actes coloniaux de « crimes contre l’humanité », a reconnu l’existence de « cas de violences injustifiées et de répression systématique » pendant la guerre de libération algérienne. Cela pourrait constituer un point de départ pour toute négociation future (Rapport sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie, remis au Président de la République, janvier 2021).

La justice dans ce cas ne se mesure pas seulement aux aboutissements juridiques, mais à l’engagement de la mémoire, de la souveraineté et du devoir moral envers ceux qui sont morts dans le silence. Le temps a été long, mais le principe de non-prescription en droit international humanitaire – tel qu’énoncé par la Convention de 1968 sur la non-prescription des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité – garde la porte ouverte, non seulement pour la plaidoirie, mais aussi pour la construction d’une histoire qui ne se rédige pas seulement à l’encre, mais aussi dans le sang des victimes.

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