Le 8 septembre 1925 marque l’un des épisodes les plus marquants de l’histoire contemporaine du Maghreb : le débarquement d’Al Hoceima (Alhucemas), considéré comme la première opération militaire moderne combinant troupes terrestres, aviation et marine. Cette offensive conjointe des armées espagnole et française, planifiée à Madrid et exécutée sur les côtes du Rif, scella le sort de la République du Rif fondée par Mohammed Abdelkrim El Khattabi, mais elle ouvrit en même temps une page de mémoire et de résistance qui continue de résonner un siècle plus tard.
Un débarquement décisif : l’écrasement de la République du Rif
Près de 13 000 soldats, appuyés par plus de 80 navires et une centaine d’avions, furent mobilisés pour cette opération sans précédent. L’objectif était clair : mettre fin à l’expérience politique inédite menée par Abdelkrim et briser la dynamique révolutionnaire du Rif. En quelques mois, la capitale Ajdir tomba et la jeune République fut anéantie. Mais l’épisode a marqué l’histoire militaire mondiale : de nombreux historiens considèrent Al Hoceima comme une sorte de « précurseur » du débarquement de Normandie en 1944.
Le rôle trouble du sultan et du Makhzen
L’histoire retiendra que la chute du Rif ne fut pas seulement le fruit de la supériorité militaire franco-espagnole. Le sultan marocain et le Makhzen jouèrent un rôle déterminant en apportant un appui politique et diplomatique aux puissances coloniales. Craignant la montée en puissance d’Abdelkrim et l’émergence d’un État moderne échappant à son autorité, le pouvoir central choisit de s’allier aux envahisseurs plutôt que de soutenir une révolution populaire. Ce choix a laissé une profonde cicatrice dans la mémoire collective rifaine : celle d’une trahison historique.
Abdelkrim El Khattabi : un projet de modernité et d’émancipation
Au-delà du chef militaire redouté, Abdelkrim fut un visionnaire politique. La République du Rif (1921-1926) qu’il fonda reposait sur des institutions modernes : un système judiciaire, une fiscalité organisée, des réformes éducatives et une administration qui associait la population locale. Dans un contexte marqué par le colonialisme, cette expérience fut perçue comme une menace pour les monarchies traditionnelles de la région et un défi direct au Makhzen.
Mémoire vivante et continuité de la lutte
Un siècle après la chute d’Ajdir, l’esprit du Rif continue d’inspirer de nouvelles générations. La création récente du Parti National Rifain (2023) illustre cette persistance d’une revendication identitaire et politique. Héritier symbolique de l’œuvre d’Abdelkrim, ce parti réclame la reconnaissance du droit à l’autodétermination et la refondation d’une entité politique autonome dans l’esprit de la République du Rif.
Héritage et actualité : une mémoire qui refuse de s’éteindre
Pour les Rifains, le débarquement d’Al Hoceima n’est pas seulement un événement militaire révolu. C’est le symbole d’une double oppression : l’une exercée par les puissances coloniales, l’autre par le Makhzen qui a préféré sacrifier une partie de son peuple sur l’autel de ses intérêts. Aujourd’hui, à travers les mouvements sociaux, les mobilisations du Hirak du Rif ou l’action politique du Parti National Rifain, cette mémoire refait surface, rappelant que la question rifaine demeure une plaie ouverte dans l’histoire marocaine.
Cent ans après Al Hoceima, l’histoire montre que l’écrasement militaire n’a pas suffi à éteindre une aspiration collective. L’esprit républicain et résistant insufflé par Abdelkrim El Khattabi survit dans la mémoire populaire et se projette dans le présent à travers des luttes politiques et sociales. Ce centenaire n’est pas seulement une commémoration : il est aussi un appel à relire l’histoire, à reconnaître la trahison dont le Rif a été victime et à ouvrir un débat sur l’avenir d’un peuple qui refuse de disparaître.
