lundi, 1 septembre, 2025

« Jabrout » le hacker qui s’est vengé du Makhzen en dévoilant les chefs des services de renseignement marocains

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« Jabrout » le hacker qui s’est vengé du Makhzen en dévoilant les chefs des services de renseignement marocains

« Au Maroc, la corruption ne se manifeste plus seulement dans la rue, mais bénéficie désormais de la protection des services de sécurité eux-mêmes », dénonce le hacker qui « expose » l’élite marocaine depuis des mois. Telle une sorte de justice poétique tardive, la terreur provoquée par les fuites qui secouent le pays voisin a atteint ceux qui, pendant des années, ont espionné les dissidents et les dirigeants étrangers. L’appareil d’espionnage marocain teste depuis des semaines la médecine qu’il administre à ses victimes. L’application Telegram est devenue l’arme qui menace de déstabiliser les fondements du régime. Un hacker se faisant appeler Jabaroot a mis en péril la Direction générale de la sécurité territoriale (DGST), le tout-puissant service de renseignement marocain.

« L’appareil usé censé protéger le Maroc n’est rien d’autre qu’un outil incontrôlable destiné à protéger les corrompus, à faire taire les voix et à vendre les secrets du royaume à prix cassés, hypothéquant ainsi l’avenir du Maroc », a-t-il averti il ​​y a quelques semaines. Dans ses dernières révélations, accompagnées de la publication de documents prouvant la transaction, Jabaroot accuse Abderrahim Hamidine, chef de la DST (police politique) de Casablanca, d’avoir acquis, avec son modeste salaire de fonctionnaire, une villa avec piscine à California, l’un des quartiers les plus huppés de la ville marocaine.

Dans les semaines précédant le scandale, la principale cible de l’ire de Jabaroot – que beaucoup ont déjà surnommé le « Julian Assange » du Maroc – était Mohamed Raji, connu à Rabat sous le nom de « Monsieur Écoute », cerveau des écoutes illégales et directement responsable de la mise en place du logiciel espion Pegasus, utilisé par le régime alaouite pour espionner les téléphones portables de Pedro Sánchez et d’Emmanuel Macron, ainsi que de nombre de leurs ministres. Mais Jabaroot ne s’arrête pas là : ses publications impliquent des ministres, des juges, de hauts responsables de la DST (police politique) et même l’entourage proche du roi Mohammed VI. L’une des missions de Raji était précisément de servir de liaison entre le palais et les services de sécurité et de protéger les secrets et les informations sensibles du régime.

Contre les fonctionnaires corrompus

En juin, il a pris pour cible le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi. « Monsieur le Ministre, hier, vous avez parlé de Jabaroot au Parlement. Nous vous avons donné l’occasion d’essayer d’améliorer les choses, dans l’intérêt du peuple marocain, de la justice et de la vérité. Malheureusement, au lieu de saisir cette occasion en or et de devenir un héros, vous avez choisi de recourir au mensonge et au déni, en récitant naïvement les fausses informations qui vous ont été transmises et en rejetant la responsabilité sur d’autres. Sachez que Jabaroot mène des enquêtes approfondies. Vous devrez en assumer les conséquences… », a-t-il averti, dans un style rappelant les messages anonymes que reçoit l’inspecteur Jaritos dans les romans policiers de l’écrivain grec Petros Márkaris.

La vengeance du pirate informatique est survenue un mois plus tard, lorsqu’il a été révélé qu’Ouahbi avait sollicité un prêt de 11 millions de dirhams (1,2 million de dollars) en 2020 pour acquérir une propriété dans l’un des quartiers les plus luxueux de la capitale, Rabat. « Il a remboursé le prêt le 15 juillet 2024 (en seulement quatre ans), ce qui est paradoxal compte tenu du salaire d’un simple ministre. Normalement, cela prendrait au moins 18 ans. » « Le 12 août 2024, il a fait don de ce bien à sa femme, mais en a déclaré la valeur à seulement 1 million de dirhams pour échapper à l’impôt (évasion fiscale). Il s’agit d’un crime très grave, surtout pour un ministre de la Justice. Ce n’est qu’un exemple des documents que nous avons en notre possession ; attendez la suite… » a-t-il ajouté.

Raji, devenu « l’homme le plus puissant de la DGST », a également été victime de fuites.

Le plus grand scandale révélé à ce jour par Jabaroot s’est produit il y a quelques semaines, en pleine canicule d’août. Il a dévoilé la liste la plus explosive jamais vue : dix hauts responsables de la DGST identifiés par leur nom, leur numéro de carte nationale d’identité et leurs coordonnées bancaires. Un véritable aperçu du pouvoir de l’ombre. Ses cibles sont Rezrazi Abdellah, directeur du contre-espionnage ; El Blidi Sif Eddine, directeur des ressources humaines et ami personnel du roi ; Hamidine Abderrahim, directeur régional de la DGST à Casablanca ; Rhandour Abdellah, septuagénaire et chef de cabinet du tout-puissant chef des renseignements marocains, Abdellatif Hammouchi ; Mohamed Raji, responsable des écoutes téléphoniques et architecte de Pegasus ; Zahdine Mohamed, directeur régional à Tanger ; Bouarourou M’Hamed, un expert-comptable familier des flux financiers de la drogue ; Habboub Cherkaoui, directeur de l’Office de lutte contre le terrorisme ; Benyahoud Lbachir, directeur régional de la DGST à Rabat ; et Belfaida Abdellatif, chargée du contre-espionnage avancé.

Le dossier montre que Raji et son associé Rachid Hassani ont acquis une zone industrielle entière à Beni Mellal, au pied du Moyen Atlas, en décembre 2023 pour 30 millions de dirhams (environ 3 millions d’euros), une fortune impossible à justifier avec leur salaire officiel de 25 000 dirhams par mois (2 400 euros).

Mohamed Raji, de technicien en télécommunications à patron de Pegasus

Le journaliste marocain Ali Lmrabet, exilé en Espagne, dresse le portrait le plus détaillé de Raji. Né en 1960, il débute comme technicien en télécommunications et est recruté par l’ancienne DST dans les années 1980 pour son talent en matière d’écoutes téléphoniques. Depuis, son ascension est fulgurante : il installe des micros dans des ambassades, des hôtels, des cabinets ministériels et des villas privées.

Avec l’arrivée de Pegasus, Raji devient « l’homme le plus puissant de la DGST ». Il a carte blanche pour espionner opposants, journalistes, militants, ministres, hommes d’affaires et même chefs d’État. En 2021, la révélation des écoutes téléphoniques personnelles d’Emmanuel Macron déclenche un séisme diplomatique.

Aujourd’hui, les fuites concernant Jabaroot le présentent comme un millionnaire dont l’ascension fulgurante est difficile à expliquer : propriétés dans des quartiers chics de Rabat, contrats d’équipement d’espionnage avec la Hongrie, Chypre et le Luxembourg, sociétés écrans en France et un associé clé, Rachid Hassani, accusé de blanchiment de commissions illégales. Tous deux ont délibérément laissé des failles dans les systèmes de surveillance afin d’obtenir des copies des informations collectées et, dans certains cas, de les vendre aux services de renseignement d’Europe et du Moyen-Orient.

Espionnage illimité

Les documents vont plus loin. Selon les fuites, la DGST aurait non seulement espionné des opposants, mais aussi des officiers supérieurs de l’armée, des ministres et le Palais royal lui-même. Parmi les cibles figurent le Premier ministre Aziz Akhannouch, son épouse Salwa et leurs filles, ainsi que la famille royale elle-même, dont les téléphones cryptés auraient été infectés par un code malveillant. « Même le roi et sa famille n’ont pas été épargnés par l’espionnage de ses services de renseignement et la vente de leurs informations », affirme Jabaroot. La fuite suggère même qu’une faction interne préparait le terrain pour évincer Hammouchi.

Pegasus, de fabrication israélienne et auquel le Maroc a eu accès grâce à son alliance avec les Émirats arabes unis et Israël, est devenu une arme pour donner au régime un contrôle absolu. Mais Jabaroot a démontré que des portes dérobées délibérément laissées dans le système permettent à des tiers – puissances étrangères ou anciens agents rebelles – d’accéder à des données secrètes. L’humiliation est double : la DGST, qui se croyait invulnérable, se retrouve à nu face à ses ennemis.

L’autre côté : Ministres suspectés

Les fuites de Jabaroot ont impliqué des personnalités clés du gouvernement en pleine ascension. Parmi elles, Fatima Zahra Mansouri, maire de Marrakech, ministre du Logement et candidate potentielle au poste de Premier ministre, semble être liée à une fortune de 46 milliards de dirhams (5 milliards d’euros). Membre du parti Authenticité et Modernité, issu du palais royal et auquel Dina Bousselham, membre de Podemos, était liée, elle dénonce une « campagne de diffamation externe ». Le ministre des Affaires étrangères, Naser Burita, accusé par le pirate d’avoir signé des transactions immobilières frauduleuses de plusieurs millions de dollars liées à des sociétés écrans, n’a pas non plus été épargné par la surveillance publique. Au total, entre 2022 et 2023, le ministre alaouite des Affaires étrangères a transféré près de 1,6 million de dollars d’actifs immobiliers. Leila Ben Ali, ministre de la Transition énergétique, a également été victime de fuites compromettantes.

Pendant ce temps, l’opposition réclame une commission parlementaire pour enquêter sur ces fuites. Le gouvernement riposte par des poursuites en diffamation contre des journalistes et des blogueurs, alimentant le sentiment d’impunité et de dissimulation officielle dans un contexte marqué par l’évasion de Mehdi Hijaouy, ancien directeur adjoint de la Direction générale des renseignements extérieurs (DGED), plusieurs cyberattaques contre les systèmes informatiques de la Sécurité sociale et du Cadastre, et des rumeurs de transition du pouvoir, alimentées par la santé fragile de Mohammed VI.

Qui tire les ficelles de Jabaroot ?

Découvrir l’identité ou les identités du hacker qui inquiète l’establishment politique et sécuritaire marocain est devenu une obsession pour certains. Des sources marocaines au courant de la situation ont levé le mystère auprès d’El Independiente : Jabaroot n’est rien d’autre qu’un ancien agent d’espionnage marocain qui a décidé de passer à l’action et d’assouvir une vengeance préparée de longue date. « L’expert informatique de la DGST, « Mesi », s’est enfui en Europe, a connu de graves problèmes familiaux causés par de hauts responsables de la DGST, a réussi à s’échapper et a maintenant décidé de tout révéler », suggère cette source de manière imagée.

Le responsable informatique de la DGST, « Mesi », s’est enfui en Europe, a connu de graves problèmes familiaux causés par de hauts responsables de la DGST et a maintenant décidé de tout révéler.

« Jabaroot joue avec la DGST. Il applique une stratégie de pression psychologique exceptionnelle », ajoute cette source. À chaque fuite sur sa chaîne Telegram, tous les regards se tournent vers Abdellatif Hammouchi, directeur général de la Sûreté nationale (DGSN) et de la Surveillance du territoire national (DGST), célébré en Espagne par la Police nationale lors de ses visites régulières à Madrid. « En bref, Hammouchi se présente au monde comme le maître de l’espionnage, mais il ne peut désormais même pas accéder à l’identité de Jabaroot, qui l’attaque chez lui et le rabaisse aux yeux des Marocains. La question que se posent de nombreux Marocains est : où est Hammouchi ? », plaisante cette source.

Selon Lmrabet, la quantité et la précision des informations publiées ont alimenté l’hypothèse d’une vendetta interne, des factions au sein de la DGST ayant divulgué des documents pour nuire à Hammouchi. Mais certains soupçonnent également qu’il pourrait s’agir de l’œuvre des services de renseignement occidentaux ou de la collaboration de certains agents marocains avec des puissances étrangères, ce qui a déclenché une forme de paranoïa. « Tous les hauts responsables de la DGST sont nerveux et très inquiets : ils craignent d’être qualifiés de corrompus et de traîtres vendant des informations à l’étranger, comme c’est le cas de Raji », prévient la source. Une autre théorie évoque la rivalité régionale entre le Maroc et l’Algérie. Alger pourrait en être à l’origine, même si les détails suggèrent une source interne, admet le journaliste. En effet, dès ses premières apparitions publiques, Jabaroot a signé avec DZ, le domaine algérien.

Hammouchi, autrefois source de peur, inspire désormais la compassion

Hammouchi, le tout-puissant directeur de la DST, surnommé « l’œil qui ne dort jamais », traverse une période difficile. « Il inspirait autrefois la peur, aujourd’hui il inspire la compassion », affirme la source consultée par ce journal au sujet de la guerre numérique au Maroc, qui révèle la misère de l’appareil de renseignement, mais aussi la corruption systémique de l’État.

Dans sa dernière déclaration publique en date, jeudi dernier, Jabaroot remet en cause le régime lui-même et sa capacité à dissimuler les manigances des pontes que le hacker a démasquées. « Le Maroc évolue à deux vitesses : la vitesse à laquelle la « protection de l’État » est offerte à l’agent de la DST et à Jabaroot, qui a révélé la vérité avec des preuves, est traduit en justice, et la vitesse à laquelle il agit pour protéger les fonds publics des corrompus.»

Selon le hacker, qui maîtrise la tension dramatique avec la maîtrise d’un scénariste de feuilleton ou de mini-série, le pire reste à venir. « Ce n’est qu’un début. Notre activisme est en faveur de la liberté et de la vérité. Tout le monde est impliqué, et la tyrannie les exposera tous », souligne-t-il. Et il prévient : « Comme nous l’avons déjà dit, chaque fois que notre nom sera mentionné, la réponse sera plus forte. »

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