Thursday, 28 August 2025

Qui dirige réellement le Maroc ? Les « hommes de l’ombre » tirent les ficelles malgré les absences de Mohammed VI

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Qui dirige réellement le Maroc ? Les « hommes de l’ombre » tirent les ficelles malgré les absences de Mohammed VI

Pour un royaume souvent présenté au monde comme un bastion de stabilité, le Maroc est aujourd’hui l’exemple type d’une monarchie creuse : le roi est absent, les institutions sont superficielles et le pouvoir réel est exercé par un cercle restreint d’« hommes de l’ombre » dont l’influence éclipse celle des élus.

Comme l’a révélé le quotidien espagnol El Independiente, le roi Mohammed VI, qui en est à sa 26e année de règne, passe plus de temps à l’étranger – dans ses luxueuses résidences en France et au Gabon – qu’au Maroc même. Ses absences prolongées, même lors de réunions diplomatiques de haut niveau comme celles avec l’Espagne, ont laissé le pays entre les mains de personnalités non élues, une structure de pouvoir parallèle qui opère derrière les murs du palais. La question se pose donc avec force : qui gouverne le Maroc aujourd’hui ?

Un monarque en retrait, une fortune en expansion

Mohammed VI, qui a fêté ses 62 ans en août dernier, est décrit comme distant, silencieux et de plus en plus désengagé des affaires courantes de l’État. Il préfère s’adonner au luxe, sa fortune personnelle étant estimée à 7 milliards d’euros, ce qui en fait le cinquième monarque le plus riche du monde. À son accession au trône en 1999, sa fortune n’en représentait qu’une fraction : environ 450 millions d’euros.

Aujourd’hui, son empire s’étend sur 12 palais, une flotte de 600 voitures de luxe (dont des Ferrari, des Bentley et des Cadillac) et l’extravagant yacht Badis 1, d’une valeur de 90 millions d’euros. Son emprise économique s’étend à chaque foyer marocain : qu’ils séjournent dans les hôtels Atlas, fassent leurs courses dans les supermarchés Marjane ou effectuent leurs opérations bancaires à la banque Attijariwafa, les citoyens enrichissent involontairement les caisses du roi. La monarchie est moins un symbole d’unité qu’un gigantesque conglomérat, dont le roi est le PDG. Le dirigeant de facto : Fouad Ali El Himma

Lorsque Mohammed VI se retire à Paris ou à Pointe-Denis, le Maroc tombe de fait sous le contrôle de Fouad Ali El Himma, ami d’enfance et aujourd’hui conseiller le plus proche du roi. Né à Marrakech en 1962, El Himma est communément surnommé le « vice-roi ».

El Himma orchestre les dossiers les plus sensibles du Maroc, de la répression de la dissidence à la diplomatie agressive sur le Sahara occidental. Il est à l’origine de la crise calculée avec l’Espagne en 2021, lorsque le Maroc a instrumentalisé l’immigration via Ceuta pour punir Madrid d’avoir accueilli le chef du Polisario, Brahim Ghali, pour y être soigné. Cette manœuvre a déclenché un séisme diplomatique, contraignant même le ministre espagnol des Affaires étrangères à la démission.

Son influence s’étend au-delà de la diplomatie : il a cofondé le Parti Authenticité et Modernité (PAM), un outil de consolidation du contrôle du palais sur la politique, avant de se retirer dans l’ombre comme conseiller royal en 2011. Des câbles diplomatiques américains divulgués (Wikileaks, 2010) l’ont lié à une corruption généralisée et à une « cupidité monstrueuse » au sein de l’entourage royal ; des allégations qui n’ont pas donné lieu à des poursuites, mais au silence des journalistes, certains étant même emprisonnés pour « atteinte à la sécurité de l’État ».

La Main de Fer : Abdelatif Hammouchi

Si El Himma est le stratège, Abdelatif Hammouchi est l’exécutant. Né à Taza en 1966, Hammouchi contrôle à la fois la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) et la Direction générale des renseignements intérieurs (DGST). Autrement dit, il est le chef de la police et le chef des services secrets du Maroc : une concentration de pouvoirs sans précédent.

Son nom a fait surface sur la scène internationale en 2014, lorsque la justice française l’a convoqué pour les allégations de torture infligées au citoyen franco-marocain Zakaria Moumni dans la tristement célèbre prison secrète de Témara. Hammouchi a évité le procès en se réfugiant derrière l’immunité diplomatique, tandis que Rabat a riposté en gelant la coopération judiciaire avec la France pendant un an. La CIA elle-même a confirmé l’existence du site noir de Témara dans un rapport de 6 000 pages.

Aujourd’hui, Hammouchi est le véritable gardien du régime, assurant la survie de la monarchie par la surveillance, l’intimidation et la répression.

Le visage diplomatique : Nasser Bourita

Le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita, né à Tounate en 1969, a gravi les échelons diplomatiques pour devenir l’exécuteur testamentaire complaisant de la monarchie sur la scène internationale. Nommé ministre des Affaires étrangères en 2017, le mandat de Bourita est marqué par deux héritages controversés : la reconnaissance par Trump de la souveraineté illégitime du Maroc sur le Sahara occidental et l’accélération de la normalisation avec l’entité sioniste.

Le gardien du trésor du roi : Mounir Majidi

Si El Himma est le « vice-roi » et Hammouchi le « gardien », Mounir Majidi est le trésorier en chef du monarque. Depuis 2000, Majidi est le secrétaire particulier de Mohammed VI et superviseur du vaste empire commercial du roi.

La réputation de Majidi est entachée par des scandales de corruption, Wikileaks et les médias marocains révélant sa profonde implication dans des détournements de fonds et des abus de marchés publics. Pourtant, comme tous les hommes du palais, il reste intouchable, son pouvoir dépassant celui du ministre des Finances du Maroc.

Les frères Zaiter, controversés

Les figures les plus singulières de l’entourage du roi sont sans doute les frères Zaiter, des combattants d’origine marocaine qui ont grandi en Allemagne. Depuis qu’ils se sont liés d’amitié avec le roi en 2018, et notamment avec Abou Bakr Zaiter, les frères bénéficient d’un accès sans précédent à Mohammed VI, l’accompagnant à loisir et consolidant ainsi leur influence.

Leur ascension soudaine a suscité l’indignation des initiés du palais, qui les considèrent comme des opportunistes exploitant les vulnérabilités et l’isolement du roi. Néanmoins, leur emprise sur le monarque n’a fait que se renforcer, renforçant l’image d’un roi de plus en plus distant et entouré d’une clientèle douteuse.

Une monarchie creuse, une nation captive

Le tableau qui se dessine est accablant : le Maroc n’est pas gouverné par son Premier ministre, Aziz Akhannouch – lui-même milliardaire et magnat du pétrole – mais par un réseau d’hommes de l’ombre : Fouad Ali El Himma, Abdelatif Hammouchi, Nasser Bourita, Mounir Majidi et même les frères Zaiter. Ensemble, ils règnent en l’absence du roi, perpétuant un système de corruption, de répression et d’enrichissement personnel.

Le Maroc de Mohammed VI est moins une monarchie constitutionnelle qu’une monarchie d’entreprise, où le roi est à la fois propriétaire foncier absent et actionnaire principal, tandis que les véritables décisions sont prises par une clique non élue. La façade des réformes s’effondre sous le poids des yachts de luxe, des prisons secrètes et des lobbies étrangers.

Alors que le roi se retire dans des palais à l’étranger, le peuple marocain est laissé pour compte, pris entre la pauvreté, le chômage et un État policier étouffant. Pour un régime qui se vante de sa modernisation, ce qui reste visible est un royaume des ombres, dirigé par des hommes de l’ombre.

 

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